Veiller sur elle
Je ne suis pas fan des histoires qui se passent durant la Seconde Guerre mondiale et encore moins celles de l’Italie fasciste. Mais la biographie fictive de Michelangelo Vitaliani a attiré mon attention. D’abord, cela commence en 1986. Dans un monastère, le héros se meurt. Âgé de 82 ans, il sait qu’il ne lui reste que quelques heures à vivre. Alors, il repense à ses souvenirs. Ancien sculpteur célèbre, il a passé ses dernières années parmi les religieux afin de « veiller » sur une pietà, son chef d’œuvre qui était autrefois exposée dans un lieu public mais qui en a été retirée car elle provoquait le malaise des spectateurs. Riche, adulé, il a quitté la société pour s’isoler. A travers ses pensées, le lecteur découvre son existence qui n’a pas du tout été facile.
Né dans une famille d’Italiens immigrés en France, Michelangelo débute dans la misère. Enfant, il aimerait exercer le même métier que son père, tailleur de pierres. Seulement, comme dit sa mère, il y a un « piccolo problema » (soit un petit problème). Michelangelo souffre d’achondroplasie. Pour les siens, un nain ne peut pas devenir sculpteur. Porter le même prénom qu’un génie de la Renaissance l’ennuie un peu et il préfère se faire appeler « Mimo ». Un jour, son père meurt. Sa mère décide de l’envoyer en apprentissage chez un sculpteur en Italie, en 1916. Michelangelo arrive donc à Pietra d’Alba chez le « Zio » (ou oncle, même s’il n’a aucun lien de parenté) qui aimerait le chasser mais qui le garde à cause de l’argent que la mère lui a donné. Quand le sculpteur découvre que l’adolescent travaille mieux que lui, il l’insulte, l’humilie et lui dit qu’il n’a aucun talent. Cependant, il l’exploite, lui fait réaliser les commandes et les signes avec son nom. Michelangelo n’est pas malheureux car il se fait des amis comme les jumeaux Vittorio (qu’il surnomme « Alinéa ») et Emanuele, tous les deux nommés ainsi en l’honneur du roi d’Italie Vittorio-Emanuele, Anna l’amoureuse d’Alinéa. Un jour, Michelangelo rencontre une adolescente de son âge, Viola. Fascinante, intelligente, cultivée, intellectuelle, la jeune fille le considère. Elle accepte sa différence sans aucune discrimination, aime discuter avec lui et l’instruire. Elle lui prête aussi des livres de la bibliothèque de son père, le marquis Orsini. Viola l’entraîne au cimetière afin d’écouter la voix des morts, lui révèle la vérité sur la légende urbaine qui veut qu’elle se transforme en ourse. Elle aimerait devenir une scientifique comme Marie Curie. Elle voudrait aussi voler. Pour cela, elle demande à Michelangelo et à ses amis afin de construire une aile pour s’élancer telle Icare. Seulement, cette amitié doit rester secrète en raison de l’appartenance sociale : une jeune aristocrate de treize ans ne doit pas fréquenter des ouvriers ou des paysans. Ce serait indigne de son rang. Quelques années s’écoulent, jusqu’au soir de l’anniversaire de Viola. Sa famille décide de la marier contre son gré à un jeune homme de sa classe sociale. Or, elle se révolte en essayant le prototype de l’aile pour voler en sautant du toit. Elle veut marquer son désir d’être libre, de ne pas se soumettre à l’obligation de devenir une bonne épouse sans aucun ambition et vivant dans l’ombre de son mari. Sauf que l’aile n’est pas au point et Viola s’écrase en tombant. Entre la vie et la mort, elle passe des mois à l’hôpital. En attendant, Michelangelo s’en va continuer son apprentissage à Florence, à Rome, avec l’aide de Francesco Orsini le frère de Viola devenu évêque et se livre à la débauche, dans le sillage de l’autre frère de la jeune fille, Stefano. En attendant, le fascisme monte. Le héros découvre un monde corrompu auquel il n’était pas habitué. Il s’y adapte et plonge dans les excès. Il a même beaucoup de succès avec ses nombreuses maîtresses. Dans toute cette ambiance, son talent se développe et est reconnu. L’enfant pauvre n’est plus qu’un souvenir.
Durant toute sa vie, Michelangelo lutte pour mener à bien sa carrière. Il vit la sculpture, voit dans la pierre ce qui existe à l’intérieur et lui permet d’exister. Il permet à la création de toucher les âmes des spectateurs. En même temps, le jeune homme essaie de noyer son chagrin. Par étapes, au cours des années, il voit et revoit Viola, devenue handicapée. Toujours aussi maussade, elle ne perd pas le désir d’être libre. Même si sa famille l’a mariée à un riche collaborateur fasciste, Rinaldo Campana. C’est lui qui remet à flot la villa Orsini, permet l’expansion de la culture des orangers de la propriété. Afin d’obtenir l’héritage de Viola à travers une éventuelle descendance et avoir le prestige de la noblesse, il s’est marié mais reste un infidèle. Il la trompe avec sa secrétaire. Michelangelo défend Viola, est toujours de son côté. Mais son amie est vraiment têtue. Les deux personnages sont en réalité amoureux mais tous les obstacles se sont mis en travers de leur bonheur. Trop éprise de sa liberté, antifasciste, Viola cache bien ses sentiments. Elle ne cesse de repousser celui qu’elle aime et de l’attirer à elle. Souvent, ils se disputent car son caractère est très fort. C’est à la suite de l’une de ces querelles que les deux se séparent. Michelangelo part mais est arrêté par un tremblement de terre sur la route. Il revient et constate que la villa a été entièrement ravagée. Stefano, sa mère la marquise et surtout Viola sont morts. Le sculpteur est moralement dévasté et pleure son véritable amour. Depuis qu’il avait fait sa connaissance, il veillait sur elle. Il veillait sur Viola. Une fois morte, il immortalise sa douleur en sculptant une piéta. Dès le début du livre, j’ai pensé que Michelangelo avait donné à la Sainte-Vierge le visage de sa bien-aimée. Mais l’auteur en a décidé autrement : son sculpteur a donné les traits du visage et du corps brisé de son amoureuse perdue au Christ mort. Il part du point de vue que la souffrance et la peine n’ont pas de genre.
Michelangelo passe le reste de sa vie au monastère, pour veiller sur la statue qui représente toute son affectivité, ses sentiments, ses espoirs et sa souffrance. C’est triste et on a l’impression qu’il gâche sa vie dans les regrets, la nostalgie. La mort finit par mettre un terme à tout cela.
Le livre est émouvant. Même si les thématiques ne me plaisaient pas, j’ai « accroché » à l’histoire remplie de sentiments, d’émotions, de rage, de luttes, de rédemption, de révolte et d’aspirations à la liberté. C’est la raison pour laquelle je conseille « Veiller sur elle ». Vous ne le regretterez pas.
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