jeudi 3 avril 2025

Sans Soleil : Disco Inferno

Paris, début des années 1980. Le livre de Jean-Christophe Grangé s’inscrit dans un contexte bien particulier, celui des débuts de l’épidémie du sida en France. L’actualité réelle de l’époque, la capitale et sa vie nocturne servent de cadre à une enquête policière. Trois personnages qui à priori n’ont rien en commun se rencontrent et mènent les investigations. D’abord, il y a Daniel Ségur, médecin quinquagénaire passionné par son métier. Amoureux de l’Afrique, il a vécu de façon très spartiate pour sauver les plus humbles. Il a passé une bonne partie de sa carrière sur le terrain, sur tous les fronts difficiles, ce qui lui a apporté l’expérience, la compassion pour les humains et le goût d’aider son prochain. Revenu dans son pays, il exerce dans une clinique. Ses patients appartiennent à la communauté homosexuelle. Ségur les soigne avec dévouement, sans préjugés. Au quotidien, il traite des maladies sexuellement transmissibles avec succès, jusqu’au jour où il se trouve face à une nouvelle affection dite le « cancer gay ». Impuissant à guérir ce virus méconnu, il n’hésite pas à s’informer, à faire appel à des chercheurs amis afin de trouver une solution. Il craint une hécatombe future et se démène pour essayer de trouver (en vain) un remède. L’histoire commence avec l’un des patients du Dr Ségur. Lycéen de Terminale à peine majeur, originaire du Chili, Federico étudie à Paris depuis peu. Ses parents l’ont envoyé en exil en raison de son homosexualité. Le beau brun ténébreux ne se concentre pas sur ses examens. Il préfère séduire les hommes dans les boites de nuit, multiplier les conquêtes, sortir et s’amuser. Mais sa beauté se fane car il est atteint du sida. Sa camarade de classe et meilleure amie, Heidi Becker, qui partageait ses virées nocturnes, ne l’abandonne pas. Très attachée à son âme sœur, elle lui sert d’aide-soignante pleine d’abnégation. Jeune réfugiée politique argentine vivant avec sa mère droguée qu’elle prend en charge, elle ne se cherche pas des amants ou des clients (car elle ne se prostitue pas). Avec Federico, elle organise des combines louches. Ensemble, ils font chanter quelques hommes qui ont fréquenté le jeune homme afin d’obtenir un peu d’argent. Heidi Becker est pourtant brillante, a de bons résultats scolaires et s’apprête à passer le baccalauréat. Sa fréquentation du monde de la nuit est en pause car son ami qui est au stade ultime de la maladie a besoin d’elle. Mais un jour, l’impensable arrive : la police découvre le cadavre atrocement mutilé de Federico. Le jeune homme baigne dans son sang, dépecé et du caoutchouc brûlé à l’intérieur de la bouche. Le meurtrier l’a torturé. Qui donc s’est acharné sur un garçon qui allait mourir ? L’inspecteur Patrick Swift se le demande bien. Décidé à trouver la vérité, il insiste pour avoir la responsabilité de l’affaire. Il faut dire que l’inspecteur trentenaire a un lourd passé qui l’invite à la tolérance. Fruit d’une relation entre deux patients d’un hôpital psychiatrique, placé en famille d’accueil, il échappe à la petite délinquance en s’engageant dans la police. Beau, à la dernière mode des années 1980, il a un certain style. Quand il voit le cadavre de Federico, il s’en émeut. Il doit trouver le coupable. Avec son adjoint dit « Mezz » qui se prend pour un inspecteur sorti tout droit des films de Jean-Paul Belmondo, il cherche… Et là, tout s’enchaîne : Patrick Swift trouve Daniel Ségur et Heidi Beck. Le trio improbable est tout de même lié par la souffrance. Tous l’ont subie de plein fouet. Leur expérience douloureuse leur permet de s’entendre et de sympathiser malgré leurs différences. Alors, la véritable enquête débute…

Je ne révèlerai pas ici l’élément de l’intrigue afin de ne pas gâcher l’effet de surprise. De plus, les précisions que je vais apporter méritent le « carré blanc » (vous savez, le fameux petit rectangle blanc qui apparaissait au bas des images des films interdits aux moins de 18 ans pour signaler la violence, la sexualité et qui étaient diffusés sur la chaîne de l’ORTF en 1961). 

Le policier, le médecin et la lycéenne veulent découvrir le meurtrier. Pour cela, les deux hommes font des incursions dans le monde de la nuit auprès de la communauté homosexuelle masculine parisienne. Patrick Swift n’hésite pas à entrer dans les boîtes où les gays s’amusent, se fréquentent. A la fois fasciné et dégoûté, il découvre un univers insoupçonné où les pratiques sexuelles plus ou moins brutales dépassent l’imagination. Pas de place pour le romantisme : les gays fréquentent le plus de partenaires possibles sans s’attacher ou s’engager. Ainsi, l’inspecteur apprend qu’en une année, certains messieurs peuvent avoir eu des relations avec de très nombreuses personnes (du même sexe). Federico comptait ses amants annuels par centaines, juste pour le fun, car attention, ce n’est pas de la prostitution. Certes, il y a bien des jeunes qui monnaient leurs services. Mais la plupart aiment fréquenter les autres juste pour le plaisir. Il faut dire que d’après les calculs de l’auteur, un seul homme peut avoir jusqu’à cinq partenaires différents chaque jour et tous les jours de l’année. Il n’y a pas que Patrick Swift qui ignorait cela. Moi aussi, j’avoue. Et je me suis posé des questions très bêtes. Comment font-ils pour avoir autant de temps pour coucher avec autant d’inconnus sans se faire rémunérer ? Ils ne travaillent jamais ? Comment font-ils pour ne pas être épuisés ? La prise de drogue leur apporte-t-elle une énergie que je n’ai pas ? Evidemment, Patrick Swift voit très bien qu’il y a du trafic de stupéfiants, de « poppers » dans ce milieu où le modus vivendi semble être le sexe, la fête. L’auteur décrit avec détail cette vie underground parisienne où tous les excès (sexuels) sont permis. Si je n’avais pas déjà entendu parler des divertissements gays de la période de libération sexuelle des années 1980, j’aurais pensé à une vision caricaturale. Quand on m’avait raconté ce qui se passait dans ces clubs fermés et les backrooms, je n’avais pu le croire, tellement que cela me paraissait extraordinaire. Or, les récits des témoins correspondent très bien à ce qu’il y a dans l’ouvrage. J’en déduis que tout est vrai, très bien documenté. Il faut ajouter que Jean-Christophe Grangé reste toujours bienveillant envers la communauté gay des années 1980. Il montre l’insouciance, la libération des mœurs après des siècles d’oppression et la grande frénésie joyeuse. Hélas, la maladie vient assombrir le tableau et surtout tout gâcher pour tous. La multiplication des partenaires sexuels, l’absence de protection favorisent une épidémie qui a surpris le monde entier. Le sida se propage, frappe de façon cruelle sans distinction de genre, d’âge. Il tue et sème la panique. Daniel Ségur s’en désole, tout comme le lecteur. En 1980, nul ne sait comment faire. Le traitement n’existe pas. Aucune guérison n’est possible. Le corps médical n’est capable de dire comment éviter cette maladie et surtout l’arrêter. A aucun moment l’auteur ne fait la morale. Il présente une galerie de personnages hauts en couleur. Des danseurs, de jolis garçons qui se prostituent, des méchants comme Michel Sarfi, dit Crin Blanc un videur de nuit (violent et violeur) amoureux de Federico et surtout Marcel Caroco, un magnat de la publicité, propriétaire de diverses sociétés. Ce bon vivant riche, puissant et gay déjà plus que quinquagénaire vit sa sexualité comme les autres : dans la démesure absolue. Protecteur de Federico et de son amie Heidi, il garde une part de mystère, surtout avec les affaires louches. En attendant, les trois enquêteurs cherchent toutes les pistes. Patrick Swift s’intéresse à un probable assassin d’origine antillaise. Et là, il y a une liste de gays originaires des DOM-TOM : un riche homme d’affaire fascinant et élégant du nom de Georges Gavalny (et dont l'une des sociétés s'appelle "L'Antillaise"), trois jeunes et beaux danseurs métis (nommés Werner Cantoube, Michel et Tony Toussaint) hauts en couleur et en paillettes, un étrange amant caché balafré de Federico. Cela met la puce à l’oreille de l’inspecteur. Seulement, pour en inculper un, il faut des preuves… Introuvables. En parallèle, un autre tueur en série sévit dans la capitale. Il agresse les hommes d’un certain âge qui cherchent à avoir des relations avec de jeunes gens, les vole et les tue. Patrick Swift est persuadé qu’un lien existe entre les deux affaires. Il n’a pas vraiment tort mais n’obtient aucun élément de la part de Serge, le confrère policier qui traite le dossier. Un jour, le petit-ami de ce dernier, un journaliste appelé Guy de Luca vient voir Patrick. Il vient lui demander de l’aide car il craint pour la sécurité de son compagnon. La peur est justifiée. Le couple est victime d’un attentat. Serge meurt. Il en savait trop. Les pistes se multiplient et tout s’embrouille.

Avec le personnage secondaire de De Luca, Jean-Christophe Grangé fait référence à Yves Mourousi présentateur célèbre à l’époque, le seul qui ouvrait son journal de 13 heures par un « tonitruant Bonjour ! », qui fréquentait la vie nocturne gay, qui vivait avec un ancien policier et qui a bien été visé par un attentat (mais il n’y a pas eu de morts). Aussi, après avoir reconnu le véritable journaliste derrière le fictif de Luca, je me demande si le roman possède des clés et si d’autres gens connus de l’époque sont visés. Dans ce cas, Yves Mourousi ne serait pas le seul concerné. Mais peu importe, le roman est passionnant même connaître sans références réelles. Et c’est instructif. Si je puis me permettre de paraphraser l’auteur, je reprendrai pour moi la phrase suivante destiné à Heidi : « Atterris, ma belle. » Oui, je me le dis à moi-même : « Atterris, ma belle. Tu as encore des choses à apprendre. »

Jean-Christophe Grangé avait une vingtaine d’années durant les fameuses années 1980. Il a donc vécu l’ambiance de peur collective qui entoure les épidémies que l’on ne sait pas éliminer. Il a vu les gens se méfier les uns des autres, la stigmatisation injuste qui ciblait une communauté qui a payé un lourd tribut, au même titre que le reste de l’humanité. Il décrit à la perfection l’atmosphère délétère. Il présente le milieu gay branché. Le lecteur s’y croirait presque : il est téléporté dans un décor d’un autre temps et c’est juste bluffant. J’ai apprécié cette histoire qui malgré ses côtés macabres tient vraiment en haleine et donne envie de découvrir qui est le meurtrier ignoble. Un coupable est bien mis hors d’état de nuire. Mais est-ce le bon assassin ? Pour le savoir, le faut lire le second tome de « Sans Soleil », ce que je vais m’empresser de faire tellement j’ai trouvé le livre intéressant.


 

 

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