jeudi 24 avril 2025

Flic : un journaliste a infiltré la police

Flic : un journaliste a infiltré la police

Même si le résumé proposé par son éditeur l’affirme, Valentin Gendrot n’est pas le premier journaliste infiltré dans un milieu qui n’est pas le sien. Bien d’autres ont été sous couverture. Ici, le reportage est censé explorer la face cachée de la police française. Pour la dévoiler au monde entier, l’auteur n’hésite pas à poser sa candidature à un poste de policier auxiliaire sous sa véritable identité. Il n’a aucun mal à le faire puisqu’à l’époque il a 29 ans et n’a pas d’emploi fixe malgré sa carte de journaliste. Il est pigiste, ce qui veut dire qu’il travaille en free-lance en écrivant des articles pour tous les journaux qui font appel à ses services. Sans employeur attitré ou définitif, il dispose de son temps et peut postuler pour être policier. L’aventure va durer deux ans pour lui. Elle commence avec une formation express de trois mois, un passage au service de prise en charge des urgences psychiatriques et se termine au commissariat du XIXème arrondissement. Valentin Gendrot touche un salaire de moins de 1400 euros qui lui permet (à peine) de vivre et il travaille honnêtement pour le contribuable français dont il assure la sécurité. En plus d’un emploi « alimentaire » insuffisant pour louer un appartement correct, le jeune homme poursuit son ambition : révéler la réalité « secrète » du quotidien des policiers. Il n’oublie pas son reportage et note tout ce qu’il voit. En attendant, il passe au moins 24 mois en tant que « flic ». C’est long, très long et il ne rêve que d’une chose : démissionner. C’est ce qu’il fait et après, il écrit son ouvrage… Et là, quelle déception ! Sous le soleil, rien de nouveau. Le lecteur découvre ce qu’il sait déjà depuis toujours puisque le sujet a été abordé de nombreuses fois. Les clichés aussi ont la peau dure. Ainsi, Valentin Gendrot révèle que les « flics » sont des racistes (et cela quelle que soit leur origine ethnique), qu’ils persécutent les étrangers, les non-occidentaux, qu’ils passent leur temps à frapper les innocents, qu’ils insultent tout le monde, qu’ils traitent les citoyens « Noirs, Arabes et autres » de « bâtards », qu’ils font absolument tout ce qu’ils veulent. Bref, la Police Nationale recrute des bons à rien violents qui se croient tout permis. A part l'arrogance (des flics), la profession est difficile, ennuyeuse, pénible et les policiers se suicident. Par ailleurs, Valentin Gendrot décrit les bavures de ses collègues qu’il juge vulgaires. Il mentionne les passages à tabac répétés de « bâtards », agressions gratuites pour un oui ou pour un non. En bref, « Flic : un journaliste infiltré dans la police » n’offre rien de bien croustillant ou d’exclusif. Bien au contraire, cela sent le réchauffé, le déjà vu dans toute la presse.

Comprendre le but de ce livre n’a pas été facile. Au début, j’ai cru que c’était pour faire évoluer les choses. Mais depuis 2020, la situation reste inchangée. Les policiers dépendent toujours d’une administration écrasante, inhumaine, mettent toujours fin à leurs jours et vivent dans une misère matérielle et morale. Cela signifie que les révélations n’ont pas servi à grand-chose à part de discréditer davantage les fonctionnaires de police dans l’opinion du lecteur. Dans « Flic… », il faut dire que les tableaux ne sont pas très flatteurs. Sous la plume (peu exceptionnelle) du journaliste, le commissariat du XIXème arrondissement de Paris réunit des hommes sexistes, grossiers, vantards, violents, peu futés et des femmes inutiles sans la moindre autorité. C’est le grand bazar où les racistes se défoulent. 

Clou du livre, Valentin Grendrot décrit le dérapage de l’un de ses collègues qui s’en prend de façon gratuite à un jeune collégien assez insolent. Afin de ne pas « griller » sa couverture, le journaliste ne réagit pas et laisse faire. D’ailleurs, durant son séjour, il reste amorphe, tente de se fondre dans le décor et cache bien sa révolte, si celle-ci existe. 

Parfois, il n’hésite pas à se montrer sous un jour vulnérable : il partage avec ses lecteurs les relations avec son père, son deuil, ses doutes, son besoin d’argent, la crainte que les policiers ne découvrent sa véritable situation (et les cauchemars qu’il endure car il a peur), ses angoisses et même sa rencontre avec une fille sur Tinder à qui il confie (imprudemment) qu’il est journaliste infiltré dans la police (visiblement, pour draguer et passer au lit avec elle, être policier, ce n’est pas la classe selon lui). Valentin Gendrot appelle indirectement le lecteur à avoir de l’empathie pour sa situation personnelle, et c’est réussi. Seulement, il est dommage qu’il n’éprouve pas lui-même ce sentiment vis-à-vis des policiers avec lesquels il travaille. Même les suicides qu’il commente ressemblent à des statistiques. Il condamne le policier violent mais n’essaie pas de comprendre pourquoi il agit ainsi. Il est pourtant facile de comprendre que l’homme excédé perd le contrôle face à un mineur qui le provoque. Impunis, les jeunes récidivent sans cesse et narguent les forces de l’ordre… qui n’ont pas d’aide pour leur apprendre à contenir leurs émotions et à les gérer. Valentin Gendrot répète les discours de ses collègues qui se targuent de frapper systématiquement leurs cibles. Ne peut-il pas penser que ces jeunes comme lui sont surtout des vantards en quête de reconnaissance, tout comme les adolescents rebelles qu’ils traquent ? Parfois, il rapporte les conversations du groupe Whatsapp de ses collègues. Dommage que son livre ne comporte pas plus d’extraits car c’est plus intéressant (et ce sont des preuves écrites vérifiables et pas un récit oral plus ou moins déformé).

Que dire de plus ? Pour ma part, je respecte la police et les policiers. Sans eux, il y aurait surtout le désordre et le règne de la pègre, des criminels en tout genre. C’est bien gentil de s’apitoyer sur le sort des pauvres délinquants malmenés. Mais qui pense aux victimes ? Comme dans tous les métiers, il y a des bons employés et des mauvais. Ne montrer que les méchants policiers sans préciser pourquoi ils le sont devenus est injuste. Ignorer qu’il y a des gens bien dans la profession, c’est faire du tort à ceux qui œuvrent pour la sécurité collective. C’est piétiner la mémoire d’un Arnaud Beltrame ou d’une Clarissa Jean-Philippe et de tous les héros dévoués aux autres. Dans le livre « Flic », il n’y a rien de positif. La négativité permanente, la déprime, le manque de tact (dû à une absence de réelle formation) des policiers sont déprimantes. Entre deux, le journaliste infiltré avoue avoir vendu son âme au diable et s’être (presque) transformé en flic indifférent, blasé. Là, il ne semble pas se rendre compte de ce qui était en train de lui arriver en exerçant le métier très dur. Il ne voit pas non plus ce que ses collègues imperméables aux sentiments endurent : la perte de l’empathie est le premier symptôme de l’épuisement professionnel. C’est ni plus ni moins que le burn-out. Il ne faut pas s’étonner d’un taux important de suicides dans un travail de terrain méprisé. Il n’est pas faux de dire que les policiers sont écrasés par leur hiérarchie, dénigrés par la presse, haïs par tout le monde car ils représentent l’autorité. Certes, les dérapages sont impardonnables. Au lieu de condamner, il faudrait éduquer, remédier, comprendre, agir afin d’éviter d’en arriver là. Le livre ne propose rien. Il dénonce ce qui a déjà été dénoncé et ce que le gouvernement et la population connaissent déjà.

En attendant, durant deux ans, Valentin Gendrot a côtoyé des « flics » qui l’ont considéré comme l’un des leurs. Malgré les tensions, il réussi à établir des liens de sympathie avec quelques-uns de ses collègues. J’ai essayé de me mettre à la place de ces policiers qui du jour au lendemain ont découvert que celui qu’ils prenaient pour un ami ou un garçon agréable malgré un air froid était un journaliste infiltré. Je pense qu’ils ont dû être bouleversés, choqués, scandalisés. Ils ont dû le considérer comme un traitre au double visage, plein de laideur. Mais l’auteur se moque de ce que ressentent ses anciens collègues. C’est désormais du passé et il a enfin réussi à publier son livre. Tant mieux pour lui. J’espère aussi qu’il a pu se faire engager dans un journal parce que là-aussi, les choses changent. Progressivement, l’IA remplace tous les pigistes comme lui. N’importe qui pourra faire un reportage sur la police grâce à l’intelligence artificielle et cela ne m’étonnerait pas que celle-ci ressorte tous les clichés connus.

J’ai lui ce livre mais je ne le conseille pas particulièrement. Je n’ai pas appris grand-chose. Dommage…


 

samedi 19 avril 2025

Veiller sur elle

Veiller sur elle

Je ne suis pas fan des histoires qui se passent durant la Seconde Guerre mondiale et encore moins celles de l’Italie fasciste. Mais la biographie fictive de Michelangelo Vitaliani a attiré mon attention. D’abord, cela commence en 1986. Dans un monastère, le héros se meurt. Âgé de 82 ans, il sait qu’il ne lui reste que quelques heures à vivre. Alors, il repense à ses souvenirs. Ancien sculpteur célèbre, il a passé ses dernières années parmi les religieux afin de « veiller » sur une pietà, son chef d’œuvre qui était autrefois exposée dans un lieu public mais qui en a été retirée car elle provoquait le malaise des spectateurs. Riche, adulé, il a quitté la société pour s’isoler. A travers ses pensées, le lecteur découvre son existence qui n’a pas du tout été facile.

Né dans une famille d’Italiens immigrés en France, Michelangelo débute dans la misère. Enfant, il aimerait exercer le même métier que son père, tailleur de pierres. Seulement, comme dit sa mère, il y a un « piccolo problema » (soit un petit problème). Michelangelo souffre d’achondroplasie. Pour les siens, un nain ne peut pas devenir sculpteur. Porter le même prénom qu’un génie de la Renaissance l’ennuie un peu et il préfère se faire appeler « Mimo ». Un jour, son père meurt. Sa mère décide de l’envoyer en apprentissage chez un sculpteur en Italie, en 1916. Michelangelo arrive donc à Pietra d’Alba chez le « Zio » (ou oncle, même s’il n’a aucun lien de parenté) qui aimerait le chasser mais qui le garde à cause de l’argent que la mère lui a donné. Quand le sculpteur découvre que l’adolescent travaille mieux que lui, il l’insulte, l’humilie et lui dit qu’il n’a aucun talent. Cependant, il l’exploite, lui fait réaliser les commandes et les signes avec son nom. Michelangelo n’est pas malheureux car il se fait des amis comme les jumeaux Vittorio (qu’il surnomme « Alinéa ») et Emanuele, tous les deux nommés ainsi en l’honneur du roi d’Italie Vittorio-Emanuele, Anna l’amoureuse d’Alinéa. Un jour, Michelangelo rencontre une adolescente de son âge, Viola. Fascinante, intelligente, cultivée, intellectuelle, la jeune fille le considère. Elle accepte sa différence sans aucune discrimination, aime discuter avec lui et l’instruire. Elle lui prête aussi des livres de la bibliothèque de son père, le marquis Orsini. Viola l’entraîne au cimetière afin d’écouter la voix des morts, lui révèle la vérité sur la légende urbaine qui veut qu’elle se transforme en ourse. Elle aimerait devenir une scientifique comme Marie Curie. Elle voudrait aussi voler. Pour cela, elle demande à Michelangelo et à ses amis afin de construire une aile pour s’élancer telle Icare. Seulement, cette amitié doit rester secrète en raison de l’appartenance sociale : une jeune aristocrate de treize ans ne doit pas fréquenter des ouvriers ou des paysans. Ce serait indigne de son rang. Quelques années s’écoulent, jusqu’au soir de l’anniversaire de Viola. Sa famille décide de la marier contre son gré à un jeune homme de sa classe sociale. Or, elle se révolte en essayant le prototype de l’aile pour voler en sautant du toit. Elle veut marquer son désir d’être libre, de ne pas se soumettre à l’obligation de devenir une bonne épouse sans aucun ambition et vivant dans l’ombre de son mari. Sauf que l’aile n’est pas au point et Viola s’écrase en tombant. Entre la vie et la mort, elle passe des mois à l’hôpital. En attendant, Michelangelo s’en va continuer son apprentissage à Florence, à Rome, avec l’aide de Francesco Orsini le frère de Viola devenu évêque et se livre à la débauche, dans le sillage de l’autre frère de la jeune fille, Stefano. En attendant, le fascisme monte. Le héros découvre un monde corrompu auquel il n’était pas habitué. Il s’y adapte et plonge dans les excès. Il a même beaucoup de succès avec ses nombreuses maîtresses. Dans toute cette ambiance, son talent se développe et est reconnu. L’enfant pauvre n’est plus qu’un souvenir.

Durant toute sa vie, Michelangelo lutte pour mener à bien sa carrière. Il vit la sculpture, voit dans la pierre ce qui existe à l’intérieur et lui permet d’exister. Il permet à la création de toucher les âmes des spectateurs. En même temps, le jeune homme essaie de noyer son chagrin. Par étapes, au cours des années, il voit et revoit Viola, devenue handicapée. Toujours aussi maussade, elle ne perd pas le désir d’être libre. Même si sa famille l’a mariée à un riche collaborateur fasciste, Rinaldo Campana. C’est lui qui remet à flot la villa Orsini, permet l’expansion de la culture des orangers de la propriété. Afin d’obtenir l’héritage de Viola à travers une éventuelle descendance et avoir le prestige de la noblesse, il s’est marié mais reste un infidèle. Il la trompe avec sa secrétaire. Michelangelo défend Viola, est toujours de son côté. Mais son amie est vraiment têtue. Les deux personnages sont en réalité amoureux mais tous les obstacles se sont mis en travers de leur bonheur. Trop éprise de sa liberté, antifasciste, Viola cache bien ses sentiments. Elle ne cesse de repousser celui qu’elle aime et de l’attirer à elle. Souvent, ils se disputent car son caractère est très fort. C’est à la suite de l’une de ces querelles que les deux se séparent. Michelangelo part mais est arrêté par un tremblement de terre sur la route. Il revient et constate que la villa a été entièrement ravagée. Stefano, sa mère la marquise et surtout Viola sont morts. Le sculpteur est moralement dévasté et pleure son véritable amour. Depuis qu’il avait fait sa connaissance, il veillait sur elle. Il veillait sur Viola. Une fois morte, il immortalise sa douleur en sculptant une piéta. Dès le début du livre, j’ai pensé que Michelangelo avait donné à la Sainte-Vierge le visage de sa bien-aimée. Mais l’auteur en a décidé autrement : son sculpteur a donné les traits du visage et du corps brisé de son amoureuse perdue au Christ mort. Il part du point de vue que la souffrance et la peine n’ont pas de genre.

Michelangelo passe le reste de sa vie au monastère, pour veiller sur la statue qui représente toute son affectivité, ses sentiments, ses espoirs et sa souffrance. C’est triste et on a l’impression qu’il gâche sa vie dans les regrets, la nostalgie. La mort finit par mettre un terme à tout cela.

Le livre est émouvant. Même si les thématiques ne me plaisaient pas, j’ai « accroché » à l’histoire remplie de sentiments, d’émotions, de rage, de luttes, de rédemption, de révolte et d’aspirations à la liberté. C’est la raison pour laquelle je conseille « Veiller sur elle ». Vous ne le regretterez pas.

lundi 7 avril 2025

Sans Soleil : "Le Roi des Ombres"

 Paris, années 1980. Trois ans se sont écoulés depuis la mort du « Tueur des tasses », soupçonné d’avoir dépecé le beau Federico, un jeune lycéen chilien atteint du sida et en phase terminale de sa maladie et ainsi que d’autres membres de la communauté gay. La vie continue pour Daniel Ségur, Heidi Becker et Patrick Swift qui n’ont pas gardé de contacts après leur malheureuse aventure. Poursuivre un tueur en série a été une épreuve bouleversante. Depuis, l’existence leur paraît banale et fade. Daniel, le médecin soigne les malades avec dévouement mais reste très affecté par la propagation du virus que personne ne semble pouvoir arrêter. Après avoir obtenu son bac, Heidi s’est inscrite à la faculté de Nanterre en économie, a réussi sa licence qui ne la passionne pas et pense faire un master. Comme elle, Patrick le policier s’ennuie. En revanche, il rumine sans cesse. Quelque chose ne le convainc pas. Pour lui, l’amant violent de Federico ne lui paraît pas être le tueur à la machette. Certes, il torturait son petit-ami par jalousie, volait les hommes âgés en quête de rencontres masculines et les tuait. Seulement, pour lui, le défunt sadique et l’assassin redoutable qui massacre les personnalités gay malades ne sont pas une seule et unique personne. Il a beau se creuser la cervelle, il ne trouve pas de solution. Parfois, il regrette Heidi et Daniel qui comme lui restent chacun dans leur coin. Soudain, l’opportunité d’une réunion entre les trois anciens acolytes se présente. Heidi passe les fêtes de Noël à Tanger dans la luxueuse villa de Marcel Caroco, seule avec son hôte l’exception d’une armée de serviteurs marocains. Le publicitaire profite du calme car ses jours sont comptés. Malade du sida, il va bientôt mourir. Une nuit, Heidi se sent mal et sombre dans un sommeil très profond. Le lendemain, elle trouve le corps dépecé de Marcel. Le tueur à la machette est donc revenu. Prise de panique, la jeune fille téléphone à Patrick Swift. Sans aucune hésitation, il vient l’aider et ensuite, tout s’enchaîne. Daniel Ségur se joint à eux pour une nouvelle aventure. Cette fois-ci, l’auteur n’entraîne pas les lecteurs dans le milieu des nuits parisiennes de la communauté gay. La traque au tueur à la machette commence au Maroc, passe par l’Algérie, continue au Zaïre et se termine à Haïti. Le lecteur voit du pays !

Grâce à un attaché militaire de la diplomatie française à Tanger, les trois Français n’ont pas d’ennuis avec la police locale et l’administration locale et ses lourdeurs (merci la paperasse). Afin de surprendre l’assassin s’il revient sur le lieu de son crime, la villa de Caroco est sous surveillance. Et là, quelqu’un arrive pour fouiller. Il s’agit de « Crin blanc », le méchant de service. Il n’a pas tué son employeur. Seulement, l’attaché militaire décide de se débarrasser du gêneur. L’enquête suit son cours et tous découvrent que le tueur s’est fait engager comme chauffeur et part en Algérie. Ils le traquent et perdent ses traces. Tandis que Patrick Swift s’acharne à poursuivre le tueur en fuite, Daniel préfère se poser en Afrique afin de soigner les malades du sida avec les moyens du bord. Heidi décide de rester avec lui afin de lui servir d’assistante. Dans la mêlée, même si elle a vingt-cinq ans de moins que lui, elle devient sa maîtresse. Le viol qu’elle a subi durant son adolescence et le traumatisme consécutif s’estompe ainsi que le mal de vivre. En Afrique, elle se sent enfin utile et à sa place. Elle adopte la terre qui fascine tant Daniel Ségur. Avec lui, elle côtoie des chercheurs qui cherchent la source du sida en analysant les crottes des singes porteurs du virus. Bien sûr, comme le médecin dévoué, elle ne souhaite plus jamais retourner à Paris. Ce couple étrange pense couler des jours heureux en soignant des malades incurables et faire le bien autour de lui. C’est sans compter sur le tueur à la machette qui signe un crime supplémentaire dans leur coin tranquille en Afrique. Patrick Swift revient constater ce qui se passe. A force, les pistes le mènent jusqu’en Haïti, à la période de la destitution du gouvernement de Jean-Claude Duvalier. Là, coup de théâtre, il trouve le tueur qui n’est pas un Antillais comme il le pensait mais un Haïtien. L’homme d’affaires qu’il soupçonnait depuis longtemps est bien impliqué. Mais Patrick Swift n’imagine pas à quel point et dans quelle mesure. L’horreur n’a pas de limite. Violeur, assassin, incestueux, il est le point de départ de la série de meurtres du premier et du second tome et bien plus encore. Le tueur à la machette est d’abord une victime qui se venge. Le policier ne parvient pas à arrêter les criminels qui finissent par s’entretuer. Justice est faite mais l’impact négatif et la « casse » sont immenses. Même Patrick se trouve entre la vie et la mort. Daniel Ségur et Heidi Becker ne le laissent pas. Ils l’assistent. Va-t-il se rétablir ? C’est probable. Le trio va-t-il se réunir dans un troisième tome ? En principe, l’histoire s’achève là. Pour une fois, si un livre supplémentaire sortait, ce ne serait pas inintéressant.

En attendant, j’ai apprécié « Le Roi des Ombres » plein de suspens et de rebondissements. Grâce à cette suite de « Disco Inferno », on comprend davantage l’origine du « mal », à savoir les crimes (et non pas la maladie). Donc, la lecture de ce tome est indispensable. Je la conseille.


 

jeudi 3 avril 2025

Sans Soleil : Disco Inferno

Paris, début des années 1980. Le livre de Jean-Christophe Grangé s’inscrit dans un contexte bien particulier, celui des débuts de l’épidémie du sida en France. L’actualité réelle de l’époque, la capitale et sa vie nocturne servent de cadre à une enquête policière. Trois personnages qui à priori n’ont rien en commun se rencontrent et mènent les investigations. D’abord, il y a Daniel Ségur, médecin quinquagénaire passionné par son métier. Amoureux de l’Afrique, il a vécu de façon très spartiate pour sauver les plus humbles. Il a passé une bonne partie de sa carrière sur le terrain, sur tous les fronts difficiles, ce qui lui a apporté l’expérience, la compassion pour les humains et le goût d’aider son prochain. Revenu dans son pays, il exerce dans une clinique. Ses patients appartiennent à la communauté homosexuelle. Ségur les soigne avec dévouement, sans préjugés. Au quotidien, il traite des maladies sexuellement transmissibles avec succès, jusqu’au jour où il se trouve face à une nouvelle affection dite le « cancer gay ». Impuissant à guérir ce virus méconnu, il n’hésite pas à s’informer, à faire appel à des chercheurs amis afin de trouver une solution. Il craint une hécatombe future et se démène pour essayer de trouver (en vain) un remède. L’histoire commence avec l’un des patients du Dr Ségur. Lycéen de Terminale à peine majeur, originaire du Chili, Federico étudie à Paris depuis peu. Ses parents l’ont envoyé en exil en raison de son homosexualité. Le beau brun ténébreux ne se concentre pas sur ses examens. Il préfère séduire les hommes dans les boites de nuit, multiplier les conquêtes, sortir et s’amuser. Mais sa beauté se fane car il est atteint du sida. Sa camarade de classe et meilleure amie, Heidi Becker, qui partageait ses virées nocturnes, ne l’abandonne pas. Très attachée à son âme sœur, elle lui sert d’aide-soignante pleine d’abnégation. Jeune réfugiée politique argentine vivant avec sa mère droguée qu’elle prend en charge, elle ne se cherche pas des amants ou des clients (car elle ne se prostitue pas). Avec Federico, elle organise des combines louches. Ensemble, ils font chanter quelques hommes qui ont fréquenté le jeune homme afin d’obtenir un peu d’argent. Heidi Becker est pourtant brillante, a de bons résultats scolaires et s’apprête à passer le baccalauréat. Sa fréquentation du monde de la nuit est en pause car son ami qui est au stade ultime de la maladie a besoin d’elle. Mais un jour, l’impensable arrive : la police découvre le cadavre atrocement mutilé de Federico. Le jeune homme baigne dans son sang, dépecé et du caoutchouc brûlé à l’intérieur de la bouche. Le meurtrier l’a torturé. Qui donc s’est acharné sur un garçon qui allait mourir ? L’inspecteur Patrick Swift se le demande bien. Décidé à trouver la vérité, il insiste pour avoir la responsabilité de l’affaire. Il faut dire que l’inspecteur trentenaire a un lourd passé qui l’invite à la tolérance. Fruit d’une relation entre deux patients d’un hôpital psychiatrique, placé en famille d’accueil, il échappe à la petite délinquance en s’engageant dans la police. Beau, à la dernière mode des années 1980, il a un certain style. Quand il voit le cadavre de Federico, il s’en émeut. Il doit trouver le coupable. Avec son adjoint dit « Mezz » qui se prend pour un inspecteur sorti tout droit des films de Jean-Paul Belmondo, il cherche… Et là, tout s’enchaîne : Patrick Swift trouve Daniel Ségur et Heidi Beck. Le trio improbable est tout de même lié par la souffrance. Tous l’ont subie de plein fouet. Leur expérience douloureuse leur permet de s’entendre et de sympathiser malgré leurs différences. Alors, la véritable enquête débute…

Je ne révèlerai pas ici l’élément de l’intrigue afin de ne pas gâcher l’effet de surprise. De plus, les précisions que je vais apporter méritent le « carré blanc » (vous savez, le fameux petit rectangle blanc qui apparaissait au bas des images des films interdits aux moins de 18 ans pour signaler la violence, la sexualité et qui étaient diffusés sur la chaîne de l’ORTF en 1961). 

Le policier, le médecin et la lycéenne veulent découvrir le meurtrier. Pour cela, les deux hommes font des incursions dans le monde de la nuit auprès de la communauté homosexuelle masculine parisienne. Patrick Swift n’hésite pas à entrer dans les boîtes où les gays s’amusent, se fréquentent. A la fois fasciné et dégoûté, il découvre un univers insoupçonné où les pratiques sexuelles plus ou moins brutales dépassent l’imagination. Pas de place pour le romantisme : les gays fréquentent le plus de partenaires possibles sans s’attacher ou s’engager. Ainsi, l’inspecteur apprend qu’en une année, certains messieurs peuvent avoir eu des relations avec de très nombreuses personnes (du même sexe). Federico comptait ses amants annuels par centaines, juste pour le fun, car attention, ce n’est pas de la prostitution. Certes, il y a bien des jeunes qui monnaient leurs services. Mais la plupart aiment fréquenter les autres juste pour le plaisir. Il faut dire que d’après les calculs de l’auteur, un seul homme peut avoir jusqu’à cinq partenaires différents chaque jour et tous les jours de l’année. Il n’y a pas que Patrick Swift qui ignorait cela. Moi aussi, j’avoue. Et je me suis posé des questions très bêtes. Comment font-ils pour avoir autant de temps pour coucher avec autant d’inconnus sans se faire rémunérer ? Ils ne travaillent jamais ? Comment font-ils pour ne pas être épuisés ? La prise de drogue leur apporte-t-elle une énergie que je n’ai pas ? Evidemment, Patrick Swift voit très bien qu’il y a du trafic de stupéfiants, de « poppers » dans ce milieu où le modus vivendi semble être le sexe, la fête. L’auteur décrit avec détail cette vie underground parisienne où tous les excès (sexuels) sont permis. Si je n’avais pas déjà entendu parler des divertissements gays de la période de libération sexuelle des années 1980, j’aurais pensé à une vision caricaturale. Quand on m’avait raconté ce qui se passait dans ces clubs fermés et les backrooms, je n’avais pu le croire, tellement que cela me paraissait extraordinaire. Or, les récits des témoins correspondent très bien à ce qu’il y a dans l’ouvrage. J’en déduis que tout est vrai, très bien documenté. Il faut ajouter que Jean-Christophe Grangé reste toujours bienveillant envers la communauté gay des années 1980. Il montre l’insouciance, la libération des mœurs après des siècles d’oppression et la grande frénésie joyeuse. Hélas, la maladie vient assombrir le tableau et surtout tout gâcher pour tous. La multiplication des partenaires sexuels, l’absence de protection favorisent une épidémie qui a surpris le monde entier. Le sida se propage, frappe de façon cruelle sans distinction de genre, d’âge. Il tue et sème la panique. Daniel Ségur s’en désole, tout comme le lecteur. En 1980, nul ne sait comment faire. Le traitement n’existe pas. Aucune guérison n’est possible. Le corps médical n’est capable de dire comment éviter cette maladie et surtout l’arrêter. A aucun moment l’auteur ne fait la morale. Il présente une galerie de personnages hauts en couleur. Des danseurs, de jolis garçons qui se prostituent, des méchants comme Michel Sarfi, dit Crin Blanc un videur de nuit (violent et violeur) amoureux de Federico et surtout Marcel Caroco, un magnat de la publicité, propriétaire de diverses sociétés. Ce bon vivant riche, puissant et gay déjà plus que quinquagénaire vit sa sexualité comme les autres : dans la démesure absolue. Protecteur de Federico et de son amie Heidi, il garde une part de mystère, surtout avec les affaires louches. En attendant, les trois enquêteurs cherchent toutes les pistes. Patrick Swift s’intéresse à un probable assassin d’origine antillaise. Et là, il y a une liste de gays originaires des DOM-TOM : un riche homme d’affaire fascinant et élégant du nom de Georges Gavalny (et dont l'une des sociétés s'appelle "L'Antillaise"), trois jeunes et beaux danseurs métis (nommés Werner Cantoube, Michel et Tony Toussaint) hauts en couleur et en paillettes, un étrange amant caché balafré de Federico. Cela met la puce à l’oreille de l’inspecteur. Seulement, pour en inculper un, il faut des preuves… Introuvables. En parallèle, un autre tueur en série sévit dans la capitale. Il agresse les hommes d’un certain âge qui cherchent à avoir des relations avec de jeunes gens, les vole et les tue. Patrick Swift est persuadé qu’un lien existe entre les deux affaires. Il n’a pas vraiment tort mais n’obtient aucun élément de la part de Serge, le confrère policier qui traite le dossier. Un jour, le petit-ami de ce dernier, un journaliste appelé Guy de Luca vient voir Patrick. Il vient lui demander de l’aide car il craint pour la sécurité de son compagnon. La peur est justifiée. Le couple est victime d’un attentat. Serge meurt. Il en savait trop. Les pistes se multiplient et tout s’embrouille.

Avec le personnage secondaire de De Luca, Jean-Christophe Grangé fait référence à Yves Mourousi présentateur célèbre à l’époque, le seul qui ouvrait son journal de 13 heures par un « tonitruant Bonjour ! », qui fréquentait la vie nocturne gay, qui vivait avec un ancien policier et qui a bien été visé par un attentat (mais il n’y a pas eu de morts). Aussi, après avoir reconnu le véritable journaliste derrière le fictif de Luca, je me demande si le roman possède des clés et si d’autres gens connus de l’époque sont visés. Dans ce cas, Yves Mourousi ne serait pas le seul concerné. Mais peu importe, le roman est passionnant même connaître sans références réelles. Et c’est instructif. Si je puis me permettre de paraphraser l’auteur, je reprendrai pour moi la phrase suivante destiné à Heidi : « Atterris, ma belle. » Oui, je me le dis à moi-même : « Atterris, ma belle. Tu as encore des choses à apprendre. »

Jean-Christophe Grangé avait une vingtaine d’années durant les fameuses années 1980. Il a donc vécu l’ambiance de peur collective qui entoure les épidémies que l’on ne sait pas éliminer. Il a vu les gens se méfier les uns des autres, la stigmatisation injuste qui ciblait une communauté qui a payé un lourd tribut, au même titre que le reste de l’humanité. Il décrit à la perfection l’atmosphère délétère. Il présente le milieu gay branché. Le lecteur s’y croirait presque : il est téléporté dans un décor d’un autre temps et c’est juste bluffant. J’ai apprécié cette histoire qui malgré ses côtés macabres tient vraiment en haleine et donne envie de découvrir qui est le meurtrier ignoble. Un coupable est bien mis hors d’état de nuire. Mais est-ce le bon assassin ? Pour le savoir, le faut lire le second tome de « Sans Soleil », ce que je vais m’empresser de faire tellement j’ai trouvé le livre intéressant.


 

 

Cours complet de chiromancie

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