Flic : un journaliste a infiltré la police
Même si le résumé proposé par son éditeur l’affirme, Valentin Gendrot n’est pas le premier journaliste infiltré dans un milieu qui n’est pas le sien. Bien d’autres ont été sous couverture. Ici, le reportage est censé explorer la face cachée de la police française. Pour la dévoiler au monde entier, l’auteur n’hésite pas à poser sa candidature à un poste de policier auxiliaire sous sa véritable identité. Il n’a aucun mal à le faire puisqu’à l’époque il a 29 ans et n’a pas d’emploi fixe malgré sa carte de journaliste. Il est pigiste, ce qui veut dire qu’il travaille en free-lance en écrivant des articles pour tous les journaux qui font appel à ses services. Sans employeur attitré ou définitif, il dispose de son temps et peut postuler pour être policier. L’aventure va durer deux ans pour lui. Elle commence avec une formation express de trois mois, un passage au service de prise en charge des urgences psychiatriques et se termine au commissariat du XIXème arrondissement. Valentin Gendrot touche un salaire de moins de 1400 euros qui lui permet (à peine) de vivre et il travaille honnêtement pour le contribuable français dont il assure la sécurité. En plus d’un emploi « alimentaire » insuffisant pour louer un appartement correct, le jeune homme poursuit son ambition : révéler la réalité « secrète » du quotidien des policiers. Il n’oublie pas son reportage et note tout ce qu’il voit. En attendant, il passe au moins 24 mois en tant que « flic ». C’est long, très long et il ne rêve que d’une chose : démissionner. C’est ce qu’il fait et après, il écrit son ouvrage… Et là, quelle déception ! Sous le soleil, rien de nouveau. Le lecteur découvre ce qu’il sait déjà depuis toujours puisque le sujet a été abordé de nombreuses fois. Les clichés aussi ont la peau dure. Ainsi, Valentin Gendrot révèle que les « flics » sont des racistes (et cela quelle que soit leur origine ethnique), qu’ils persécutent les étrangers, les non-occidentaux, qu’ils passent leur temps à frapper les innocents, qu’ils insultent tout le monde, qu’ils traitent les citoyens « Noirs, Arabes et autres » de « bâtards », qu’ils font absolument tout ce qu’ils veulent. Bref, la Police Nationale recrute des bons à rien violents qui se croient tout permis. A part l'arrogance (des flics), la profession est difficile, ennuyeuse, pénible et les policiers se suicident. Par ailleurs, Valentin Gendrot décrit les bavures de ses collègues qu’il juge vulgaires. Il mentionne les passages à tabac répétés de « bâtards », agressions gratuites pour un oui ou pour un non. En bref, « Flic : un journaliste infiltré dans la police » n’offre rien de bien croustillant ou d’exclusif. Bien au contraire, cela sent le réchauffé, le déjà vu dans toute la presse.
Comprendre le but de ce livre n’a pas été facile. Au début, j’ai cru que c’était pour faire évoluer les choses. Mais depuis 2020, la situation reste inchangée. Les policiers dépendent toujours d’une administration écrasante, inhumaine, mettent toujours fin à leurs jours et vivent dans une misère matérielle et morale. Cela signifie que les révélations n’ont pas servi à grand-chose à part de discréditer davantage les fonctionnaires de police dans l’opinion du lecteur. Dans « Flic… », il faut dire que les tableaux ne sont pas très flatteurs. Sous la plume (peu exceptionnelle) du journaliste, le commissariat du XIXème arrondissement de Paris réunit des hommes sexistes, grossiers, vantards, violents, peu futés et des femmes inutiles sans la moindre autorité. C’est le grand bazar où les racistes se défoulent.
Clou du livre, Valentin Grendrot décrit le dérapage de l’un de ses collègues qui s’en prend de façon gratuite à un jeune collégien assez insolent. Afin de ne pas « griller » sa couverture, le journaliste ne réagit pas et laisse faire. D’ailleurs, durant son séjour, il reste amorphe, tente de se fondre dans le décor et cache bien sa révolte, si celle-ci existe.
Parfois, il n’hésite pas à se montrer sous un jour vulnérable : il partage avec ses lecteurs les relations avec son père, son deuil, ses doutes, son besoin d’argent, la crainte que les policiers ne découvrent sa véritable situation (et les cauchemars qu’il endure car il a peur), ses angoisses et même sa rencontre avec une fille sur Tinder à qui il confie (imprudemment) qu’il est journaliste infiltré dans la police (visiblement, pour draguer et passer au lit avec elle, être policier, ce n’est pas la classe selon lui). Valentin Gendrot appelle indirectement le lecteur à avoir de l’empathie pour sa situation personnelle, et c’est réussi. Seulement, il est dommage qu’il n’éprouve pas lui-même ce sentiment vis-à-vis des policiers avec lesquels il travaille. Même les suicides qu’il commente ressemblent à des statistiques. Il condamne le policier violent mais n’essaie pas de comprendre pourquoi il agit ainsi. Il est pourtant facile de comprendre que l’homme excédé perd le contrôle face à un mineur qui le provoque. Impunis, les jeunes récidivent sans cesse et narguent les forces de l’ordre… qui n’ont pas d’aide pour leur apprendre à contenir leurs émotions et à les gérer. Valentin Gendrot répète les discours de ses collègues qui se targuent de frapper systématiquement leurs cibles. Ne peut-il pas penser que ces jeunes comme lui sont surtout des vantards en quête de reconnaissance, tout comme les adolescents rebelles qu’ils traquent ? Parfois, il rapporte les conversations du groupe Whatsapp de ses collègues. Dommage que son livre ne comporte pas plus d’extraits car c’est plus intéressant (et ce sont des preuves écrites vérifiables et pas un récit oral plus ou moins déformé).
Que dire de plus ? Pour ma part, je respecte la police et les policiers. Sans eux, il y aurait surtout le désordre et le règne de la pègre, des criminels en tout genre. C’est bien gentil de s’apitoyer sur le sort des pauvres délinquants malmenés. Mais qui pense aux victimes ? Comme dans tous les métiers, il y a des bons employés et des mauvais. Ne montrer que les méchants policiers sans préciser pourquoi ils le sont devenus est injuste. Ignorer qu’il y a des gens bien dans la profession, c’est faire du tort à ceux qui œuvrent pour la sécurité collective. C’est piétiner la mémoire d’un Arnaud Beltrame ou d’une Clarissa Jean-Philippe et de tous les héros dévoués aux autres. Dans le livre « Flic », il n’y a rien de positif. La négativité permanente, la déprime, le manque de tact (dû à une absence de réelle formation) des policiers sont déprimantes. Entre deux, le journaliste infiltré avoue avoir vendu son âme au diable et s’être (presque) transformé en flic indifférent, blasé. Là, il ne semble pas se rendre compte de ce qui était en train de lui arriver en exerçant le métier très dur. Il ne voit pas non plus ce que ses collègues imperméables aux sentiments endurent : la perte de l’empathie est le premier symptôme de l’épuisement professionnel. C’est ni plus ni moins que le burn-out. Il ne faut pas s’étonner d’un taux important de suicides dans un travail de terrain méprisé. Il n’est pas faux de dire que les policiers sont écrasés par leur hiérarchie, dénigrés par la presse, haïs par tout le monde car ils représentent l’autorité. Certes, les dérapages sont impardonnables. Au lieu de condamner, il faudrait éduquer, remédier, comprendre, agir afin d’éviter d’en arriver là. Le livre ne propose rien. Il dénonce ce qui a déjà été dénoncé et ce que le gouvernement et la population connaissent déjà.
En attendant, durant deux ans, Valentin Gendrot a côtoyé des « flics » qui l’ont considéré comme l’un des leurs. Malgré les tensions, il réussi à établir des liens de sympathie avec quelques-uns de ses collègues. J’ai essayé de me mettre à la place de ces policiers qui du jour au lendemain ont découvert que celui qu’ils prenaient pour un ami ou un garçon agréable malgré un air froid était un journaliste infiltré. Je pense qu’ils ont dû être bouleversés, choqués, scandalisés. Ils ont dû le considérer comme un traitre au double visage, plein de laideur. Mais l’auteur se moque de ce que ressentent ses anciens collègues. C’est désormais du passé et il a enfin réussi à publier son livre. Tant mieux pour lui. J’espère aussi qu’il a pu se faire engager dans un journal parce que là-aussi, les choses changent. Progressivement, l’IA remplace tous les pigistes comme lui. N’importe qui pourra faire un reportage sur la police grâce à l’intelligence artificielle et cela ne m’étonnerait pas que celle-ci ressorte tous les clichés connus.
J’ai lui ce livre mais je ne le conseille pas particulièrement. Je n’ai pas appris grand-chose. Dommage…