La jeune londonienne Philippa a été adoptée par un célèbre sociologue, Maurice Palfrey et sa seconde femme, Hilda. Elle vit confortablement, a accès à la culture et à la meilleure éducation, ce qui lui permet de fréquenter la bonne société. D’ailleurs, son cursus secondaire terminé, elle ira étudier à l’université de Cambridge après les vacances. Tout semble parfait. Or, dans cette famille idéale, l’amour ne semble pas exister. Le père regrette sa première épouse et le fils de cette dernière, tous les deux morts dans un accident. La mère travaille accessoirement au tribunal mais s’investit surtout dans son rôle de ménagère terne. Dans cette ambiance morose, la glaciale Philippa profite d’une loi qui permet aux enfants adoptés de connaître leurs origines. Âgée désormais de 18 ans, elle fait les démarches nécessaires pour savoir qui sont ses parents qui l’ont abandonnée quand elle avait 8 ans. Et là, c’est la surprise. Les êtres qu’elle idéalisait dans ses pensées sont deux criminels sordides. Son véritable père a violé une très jeune adolescente. Ensuite, sa mère biologique, Mary Ducton, a tué la victime nommée Julie Scase. Tous deux sont condamnés. Le père décède et la mère s’apprête à sortir de prison après avoir purgé une peine de dix ans. Malgré la déception, Philippa décide de prendre contact avec Mary Ducton afin de la rencontrer. Elle lui écrit et lui propose de l’accueillir à sa sortie. Elle compte louer un appartement pendant les deux mois précédant son départ à Cambridge. Durant les vacances, elle veut loger sa mère dans l’espoir de faire sa connaissance. La meurtrière accepte. Philippa attend donc que Mary Ducton sorte de prison pour aller la chercher. Mais elle n’est pas la seule. Norman Scase, le père de Julie a juré à Mavis (son épouse qui vient de mourir) de venger leur fille. L’homme part à la retraite anticipée, vend sa maison et passe ses journées à chercher la coupable. Il la traque, la piste chaque jour avec la ferme intention de la tuer… Voilà pour l’intrigue. Au début, j’ai eu du mal à accrocher véritablement. Les personnages sont franchement antipathiques, distants, froids. Il est difficile de comprendre pourquoi Philippa semble se montrer aussi ingrate envers sa famille adoptive qui lui a tout donné. Pourquoi s’acharne-t-elle à tenter de construire une relation avec une meurtrière affreuse qui l’a abandonnée ? C’est à n’y rien comprendre du tout. Le roman au ton sombre paraît manquer d’intérêt, vu que tout le monde est aussi antipathique. Cependant, le seul personnage intéressant est Norman Scase, le meurtrier en herbe. Laid, désespéré, tenu par son serment fait à son épouse, ce modeste employé de bureau n’a pas vraiment vécu sa vie. Il a juste survécu dans la routine, la poussière, les souvenirs et la tristesse. Ses doutes, ses hésitations, ses défauts, ses incertitudes et son application à vouloir exécuter son plan parfait font pitié. Il est le seul à être doté d’humanité. A lui seul, il sauve l’histoire. Sa quête de vengeance pathétique maintient le suspense. Le lecteur se demande jusqu’au bout s’il va réussir à mener à bien son « projet », s’il va se faire prendre par la police ou s’il va échouer. Norman Scase suit Philippa et Mary Ducton qui explorent Londres et ses musées, se trouve une routine. Il loge dans un hôtel où travaille Violet Hedley, une standardiste aveugle. Entre temps, les obstacles se succèdent… Au fur et à mesure, l’auteure finit par révéler les secrets de chacun. Maurice Palfrey a adopté Rose, la fille de Mary Ducton avec son approbation. La mère (qui ne se sentait pas la fibre maternelle) maltraitait son enfant qu’elle ne supportait pas (et l’avait envoyée à l’hôpital, ce qui avait provoqué l’amnésie partielle de la fillette). Ayant rencontré par hasard sur son chemin la petite fille martyrisée, Maurice décide de l’arracher à sa tortionnaire. Philippa finit par apprendre ce détail important qui lui fait changer d’avis sur la femme qu’elle commençait à apprécier. En fait, la jeune fille est traumatisée et incapable de sentiments à cause du passé qu’elle a refoulé. Maurice, son père est également un mal-aimé. Philippa n’accepte pas les mensonges de Mary Ducton et la rejette. Le dénouement est extraordinaire. La meurtrière se suicide juste avant l’arrivée de Norman Scase. « Déguisé » en assassin, il se déplace avec un sac à dos rempli de matériel. Ainsi, il préfigure Dexter qui se promène avec ses outils et ses bâches. Lorsque Norman parvient enfin à entrer chez Mary Ducton avec son couteau, non seulement il a le déplaisir de constater qu’elle est déjà morte quand il entaille le cou de la malheureuse mais il se fait aussi surprendre par Philippa qui n’a absolument pas peur de lui. Bien au contraire, pour l’avoir croisé quelques fois sur son passage, elle accepte de dialoguer avec lui. Elle fait même mieux : elle le déculpabilise. Sa mère biologique n’est plus et il peut s’estimer vengé. Généreuse, Philippa lui offre une seconde chance et le laisse partir. Elle ne dira rien à personne. Prête à endosser la tentative de meurtre, elle n’hésitera pas à mentir. De toute façon, sa mère a laissé une lettre où elle avoue son suicide. Personne ne la condamnera. Norman Scase s’en va sans être devenu à son tour un meurtrier. Il faut avouer que le suicide de cette affreuse madame Ducton tombe assez bien. Elle paye enfin pour son crime gratuit et monstrueux. En effet, au lieu de défendre la pauvre Julie qui a été victime de son mari, elle la tue elle-même. Maltraitante avec sa propre fille, meurtrière d’enfant, complice de vol, cette femme ne se repent jamais à aucun moment. Alors, son suicide ne tient pas la route. Il n’est pas logique et surtout ne correspond pas au tempérament du personnage toxique. Autrement dit, Mary Ducton n’est pas du genre à se suicider. Bien au contraire, le retour dans sa vie de sa fille lui donnait une bonne opportunité de s’insérer dans la société, d’y trouver une place. De plus, elle commençait à apprécier l’enfant qu’elle martyrisait autrefois. Adulte, Philippa devenait plus intéressante pour elle. Alors pourquoi se serait-elle suicidée ? Elle n’en avait aucune raison. L’auteure supprime ce personnage odieux sûrement pour rendre justice, pour montrer que le crime ne paie pas. Mary Ducton allait s’en sortir après avoir détruit des vies. Par conséquent, P. D James refuse de lui accorder un salut (et elle fait bien). Elle préfère sauver la principale victime, Norman Scase. La mort de ses proches a anéanti son existence et sa fidélité envers Mavis allait lui coûter son âme. L’auteur n’a pas voulu le transformer en assassin. Le suicide coup de théâtre lui évite de se salir. Norman mérite une rédemption. Après les années de tristesse, de vide, de désespoir, il finit par l’obtenir. La jeune femme aveugle ne considère pas son aspect physique rebutant. Elle parvient à saisir la beauté de son âme. L’amour s’invite enfin. Norman épousera sa bien-aimée dont il est amoureux, va vivre dans un joli cottage et fondera une famille. Violet a l’âge où elle peut avoir des enfants et Norman à la retraite celui de s’en occuper avec elle. Pour lui, tout est bien qui finit bien. En revanche, Philippa ne peut pas en dire autant. L’amour ne transfigure pas ses jours. Mais elle s’en sort bien : elle étudie à Cambridge, devient écrivain à succès, visite l’Italie avec son père adoptif qu’elle comprend mieux et qu’elle ne dénigre plus. Hilda se console de son absence de maternité (n’oublions pas que Maurice qui la trompe avec ses étudiantes l’a également bernée en lui cachant sa propre stérilité) avec un chien qu’elle a adopté. C’est sûr qu’un animal sera beaucoup moins ingrat que Philippa qui ne lui a pas rendu d’amour (maintenant, le lecteur sait pourquoi puisque c’est la faute de la maltraitance de Mary Ducton). Au passage, autre point d’incompréhension de ma part : Philippa et son père adoptif ont des relations incestueuses. Mais pourquoi l’auteure fait-elle cela ? C’est tout de même un peu trop pousser les conséquences des maltraitances qu’elle a bien décrites. Dans l’ensemble, après un début difficile, le livre devient intéressant. Il n’y a pas d’énigme policière à résoudre. Il y a du suspense. Ce n’est pas mal et en conclusion, j’ai fini par l’apprécier. Je le conseille aux lecteurs qui préfèrent les études psychologiques des personnages.
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