« La Dernière allumette »
Autant le dire tout de suite : je n’ai pas vraiment apprécié ce livre que son résumé présente comme un thriller. D’ailleurs, voilà le texte que l’on retrouve sur tous les sites de vente en ligne : « Depuis plus de vingt ans, Abigaëlle vit recluse dans un couvent en Bourgogne. Sa vie d’avant ? Elle l’a en grande partie oubliée. Elle est même incapable de se rappeler l’événement qui a fait basculer sa destinée et l’a poussée à se retirer du monde. De loin, elle observe la vie parisienne de Gabriel, son grand frère dont la brillante carrière d’artiste et l’imaginaire rempli de poésie sont encensés par la critique. Mais le jour où il rencontre la lumineuse Zoé et tombe sous son charme, Abigaëlle ne peut s'empêcher de trembler, car elle seule sait qui est vraiment son frère… Un roman captivant, brillamment construit, à la fin aussi imprévisible que bouleversante et dont les personnages inoubliables offrent une voix aux enfants qui grandissent confrontés à la violence des adultes. » Présenté ainsi, on s’attend à un roman policier plein de mystère. Il n’en est rien. Nous ne sommes pas chez Stephen King. Il s’agit surtout de l’histoire assez ordinaire d’une femme nommée Abigaëlle. Narratrice omnisciente, elle parle tour à tour de son enfance, de sa vie actuelle, de l’existence de son frère Gabriel (auteur illustrateur à succès), de l’arrivée de Zoé (une jeune professeure des écoles). Elle mêle le passé et le présent. Au début, Abigaëlle prend le ton sympathique d’une fillette surdouée. Abigaëlle redevient une enfant et se raconte avec force jeux de mots qui font sourire. Là, l’auteure en fait un peu trop car même avec un quotient intellectuel très élevé, un élève de cycle 2 ne produit pas autant de traits d’humour. A travers son regard innocent et parfois naïf, le lecteur entrevoit son quotidien. Et là, c’est un véritable film d’horreur. On comprend qu’Abigaëlle habite une maison où règne la violence intrafamiliale. Son père l’aime. Il ne déteste pas non plus son fils Gabriel. Mais il bat son épouse. Sa brutalité se déclenche à tout propos. Gabriel fait tout ce qu’il peut pour protéger sa petite sœur. Quand ses parents se disputent, il l’enferme dans le placard sous l’escalier afin qu’elle ne soit pas choquée. En effet, voir sa mère recevoir des coups représente un traumatisme. Alors, la petite s’isole dans son monde, le casque de son walkman sur les oreilles pour ne pas écouter les cris. Elle voit une psychologue, le Dr Hassan car elle joue avec des allumettes, est tombée d’un toit car elle a essayé de voler grâce à des ailes en papier. L’esprit d’Abigaëlle est très confus. Amnésique, elle refoule ses souvenirs durant le passé. Au présent, elle continue à les effacer inconsciemment. Pour se protéger de toute la violence vécue, elle occulte une partie de sa mémoire. Le lecteur peut comprendre qu’elle se réfugie à juste titre dans un couvent et qu’elle a fait le vœu du silence depuis des années. Au couvent, Abigaëlle reste figée. Elle fait part au lecteur de la vie de son frère. Dessinateur de talent, il est devenu célèbre grâce à sa série de livres « Abi Colibri » qui met en scène une fillette, un oiseau et une forêt fantastique. L’une de ses fans attire son attention. Il s’agit de Zoé Boisjoli, une professeure des écoles presque caricaturale. En effet, l’adorable jeune femme voit le monde avec un grand optimisme, en rose et en bleu. Elle ressemble beaucoup à une Amélie Poulain au joli visage un peu ordinaire qui se dévouerait pour sa classe. Gentille, un peu ingénue, elle tombe amoureuse du ténébreux et très tourmenté Gabriel qui refuse d’abord ce déferlement d’amour. Ayant connu la violence, il ne veut pas fonder de famille. Or, il ne repousse pas Zoé qui ne peut pas avoir d’enfants. Le couple se forme. Le miracle survient. Zoé attend un bébé. Bien évidemment, pour qu’il y ait quelque chose dans ce roman, il faut une menace. L’ombre du passé de Gabriel plane. Sous les yeux impuissants de la narratrice du couvent, il se met à frapper son épouse si mignonne. Un ami de Zoé, Sofiane, la pousse à aller voir le Dr Garnier, psychologue. Et là, on a les dialogues entre la voix de la femme battue qui excuse son tortionnaire et la voix de la raison qui lui donne tous les bons arguments pour l’inviter à s’enfuir, à porter plainte. Les ressorts de l’emprise des pervers, la résignation et la culpabilité des victimes sont à la fois très bien expliqués et documentés. C’est vraiment persuasif. Une femme qui prend des coups doit immédiatement quitter son conjoint violent qui n’éprouve pas d’amour mais de la haine pour elle. Le suspens arrive alors : Zoé va-t-elle mourir, tuée par son conjoint ? Mais ce n’est pas tout. Elle se sent trahie. Elle suspecte Gabriel de la tromper avec sa propre sœur, Aline (mariée avec un pédiatre et mère de famille). Désespérée, va-t-elle sombrer à son tour ? Le livre change de cap. Après une longue introduction un peu pénible et une partie utile de plaidoyer contre la violence intrafamiliale, arrive un dénouement plein de désordre. Comme on dit familièrement, l’auteur a mené en bateau le lecteur. Dès le début, elle présente Gabriel comme un méchant qui enferme sa sœur, lui donne des « torgnoles », la rudoie. Elle fait même croire que leur mère est morte, assassinée par leur père. Elle va jusqu’à laisser penser que Zoé est battue alors qu’en réalité, c’est sa sœur Aline qui va voir le psychologue en utilisant son nom de jeune fille. Mais le pompon, c’est Abigaëlle et ses amnésies répétées, ses aller-retours vers le passé et le présent. Comme un cheveu sur la soupe, le coup de théâtre tombe : lors d’une énième dispute entre ses parents, c’est Abigaëlle qui meurt en traversant une sorte de vitrail qui représente une forêt (d’où la phobie de ce pauvre Gabriel présenté tout au long du récit comme un monstre alors qu’il est le gentil !). Abigaëlle repose dans une tombe au couvent. Elle est morte à l’âge de douze ans. C’est son fantôme qui parle et qui retrouve la mémoire progressivement au fur et à mesure qu’elle parle. L’auteur a allègrement semé la confusion en allant jusqu’à s’amuser avec le titre. La « dernière allumette » fait bien référence sans qu’elle ne le précise au triste conte d’Andersen. Abigaëlle est comme la « Petite fille aux allumettes », seule, meurtrie et qui trouve une échappatoire dans l’illusion et dans la mort. Par ailleurs, des ressemblances avec diverses campagnes à la sensibilisation aux violences contre les femmes font penser que Marie Vareilles s’est inspirée de plusieurs vidéos au message récurrent. Il y a par exemple la fillette qui se réfugie dans le dessin. Elle traduit ce qu'elle voit et se réfugie dans les dessins :
https://www.youtube.com/watch?v=o2xiIWHTI-U
C'est bien ce que fait Gabriel, y compris en tant qu'adulte. Il échappe à la réalité en s'exprimant par le dessin. C'est son exutoire. Quant à la voix d'outre-tombe d'Abigaëlle qui raconte sa vie passée, on en a un exemple dans la vidéo réalisée avant 2007 :
https://www.youtube.com/watch?v=nRcaxzKXV3U
Ici, c'est une femme adulte qui parle de son histoire en quelques mots. On la croit vivante mais c'est un leurre. Si on la couvre de fleurs, c'est parce qu'elle est morte. Voilà le sort qui attend la femme battue qui ne réagit pas. L'auteure du livre a pu tirer de là son idée de départ.
Ce ne sont pas les seules vidéos pour sensibiliser aux violences domestiques qui impactent les familles. Il y en a de nombreuses et dans tous les pays du monde. En voilà une source d'inspiration pour traiter un sujet, hélas, peu original.
Pour moi, c’est évident : cet ouvrage est dans une même veine. Il n'invente rien.
Pour conclure, je n’ai pas du tout aimé le livre. A mon avis, ce n’est pas un roman. Un tel sujet de société laisse place à l’amertume. Cependant, je conseille tout de même la lecture de ce récit déprimant capable de désorienter la logique et particulièrement ennuyeux. En effet, si ce texte plein d’émotions parvient à convaincre ne serait-ce qu’une seule femme battue à porter plainte contre son conjoint ou à fuir pour sauver sa vie, l’objectif est atteint. Déjà, ce serait fantastique. Alors, si nous suspectons ce genre de violence parmi notre entourage, il ne faut pas hésiter à partager ce livre. L’offrir, le prêter à une femme battue pourrait déclencher un réflexe de survie, pour sauver une vie. Voilà l’intérêt de « La Dernière allumette », le seul.
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